jeanne

un vieil anneau d'amour à son doigt décharné

elle va parcourant son étroit territoire

ainsi de jour en jour le cours de son histoire

s'égrène au rythme lent de l'inutilité

le temps coule pourtant - et comme il a coulé -

entre le lit d'oubli le fauteuil et l'armoire

les souvenirs fanés du fond de sa mémoire

le rendez-vous des jeux le soir à la télé

regarder le journal souvent lui porte peine

à la page des morts presque chaque semaine

elle retrouve un nom tant déjà qui ont fui

elle ne se plaint pas d'ailleurs à qui se plaindre

et n'espérant plus guère elle n'a guère à craindre

elle attend simplement le terme de l'ennui

lune de miel

nous passâmes tous deux sur les plages bretonnes

un été supportable et presque chaleureux

car y trouvant chacun de quoi nous rendre heureux

vous les jeunes anglais moi les vieilles teutonnes

souvenirs lancinants enfouis sous les automnes

certains cherchent l'amour l'amour n'est pas pour eux

la vie a fait de nous des êtres douloureux

condamnés bien trop vite aux choses monotones

de ces mois d'aventure et de fausse affection

nous rêvons maintenant dans ce lit de fonction

où dorment nos désirs nos cœurs et nos carcasses

vos anciens séducteurs doivent être repus

et collés pour toujours à des moitiés fadasses

mes conquêtes à moi sans doute ne sont plus

faisandage

je ne fais jamais rien mais n’en suis jamais las

le présent doucement pleut sur mon espérance

et j’aime cet ennui tenace humide et rance

qui me colle à la peau étouffant comme un bas

un peu plus alourdie après chaque repas

sans le moindre remords ni la moindre décence

ma paresse se traîne et cherche sa pitance

dans cet appartement où le jour n'entre pas

je sais mon avenir la même brume épaisse

où le désir se noie où le vouloir s’abaisse

où les cris ne sont plus que de mornes soupirs

mais bientôt tu viendras mettre un terme à l’attente

et tu seras émue émue et bienveillante

sentant l’amour de toi dans tous mes souvenirs